Par Karin Calvo-Goller et Michel A.Calvo
Éd. Albin Michel, septembre 2004
Introduction
Le jugement sur la personne et l’action de Yasser Arafat appartient
désormais aux historiens. Il faut souhaiter qu’ils n’oublient pas dans
leur bibliographie le livre de Karin Calvo-Goller et Michel A. Calvo
Le dossier Arafat (Paris, Albin-Michel 2004).
Les deux auteurs sont docteurs en droit des organisations et des
relations économiques internationales. Karin Calvo-Goller est avocate au
barreau d’Israël, maître de conférences au collège académique de droit
et chargée de cours à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Michel A.
Calvo, ancien avocat au barreau de Paris, est avocat au barreau d’Israël
et membre de la cour internationale d’arbitrage de la Chambre de
Commerce Internationale.
Résumé du livre
Par Michel Remaud
Sans passion, documents à l’appui, ils nous présentent dans ce livre
(écrit avant le décès du président de l’Autorité palestinienne) un
dossier dont le but est de montrer que Yasser Arafat est personnellement
responsable du terrorisme dont est victime la population israélienne. On
peut ne pas partager les options politiques des auteurs : le lecteur ne
manquera pas de remarquer que le livre ne fait pas de distinction, parmi
les victimes, entre les Israéliens qui vivent dans des implantations
isolées et ceux qui résident à l’intérieur des frontières de l’État
d’Israël. Mais on ne peut contester les chiffres, enregistrements de
déclarations et photocopies de documents sur lesquels l’ouvrage est
construit.
Un premier chapitre, intitulé « une chronologie révélatrice »,
examine le calendrier des actes terroristes commis contre des civils
israéliens.
« De 1978 aux accords d’Oslo signés le 13 septembre 1993, 254 personnes
ont été tuées. Depuis les accords d’Oslo, du 13 septembre 1993 au 28
septembre 2000, soit en sept ans, 256 personnes ont été tuées. Du 29
septembre 2000 au 8 octobre 2003, soit en trois ans, 892 personnes ont
été assassinées et 5 944 blessées, pendant la période du processus de
paix. Le nombre de victimes d’attentats a été multiplié par 3,6 pendant
les sept années qui ont suivi la signature des accords d’Oslo; les
dernières années ce nombre a été multiplié par 30. » (p. 11).
L’étude attentive de cette chronologie montre qu’il existe une
corrélation étroite entre le calendrier des attentats et celui des
négociations politiques menées avec les gouvernements israéliens ou
celui des échéances électorales israéliennes : les principales vagues
d’attentats se situent en février et mars 1996, pour écarter Shimon
Pérès du pouvoir et faire élire un Premier Ministre de droite, Binyamin
Netanyahu; en décembre 2000 et Janvier 2001, pour faire élire Ariel
Sharon; en janvier 2003, pour faire élire une majorité de droite à la
Knesset et mettre fin à toute possibilité de gouvernement de coalition
avec le parti travailliste. À l’inverse, les attentats cessent lorsque
cela convient à l’autorité palestinienne; par exemple pour permettre la
signature des accords sur l’autonomie de Gaza et de Jéricho, ou à
l’approche des négociations de Wye River.
En novembre 2000, le gouvernement d’Ehud Barak publie un livre bleu sur
la mauvaise foi de l’Autorité palestinienne (Palestinian Authority
and PLO Non-Compliance. A record of Bad Faith). La pression de
l’administration américaine interdit que ce document soit distribué à la
presse et au public.
Ce n’est pas sans effort que le lecteur parvient à la fin du chapitre 2, intitulé « Écouter la voix des victimes ». Il faut pourtant s’interdire de sauter ces descriptions insoutenables des blessés qui devront terminer leurs jours avec, dans leur corps, des boulons, des éclats de verre, des clous ou des bouts de ferraille, puisque les explosifs avec lesquels les terroristes suicidaires se font sauter sont enrobés de ces objets, que la chirurgie ne parvient pas toujours à extraire. Ils sont aujourd’hui des milliers en Israël qui sont condamnés pour toujours à une vie diminuée physiquement et mentalement. Il faut entendre les témoignages des victimes et surtout ceux de leurs proches (les victimes étant souvent enfermées dans le mutisme), et ceux des témoins qui resteront hantés toute leur vie par le souvenir des explosions, des cris, des odeurs de chair brûlée et du spectacle des corps déchiquetés. Certains sont réveillés la nuit par des explosions qu’ils ont cru entendre, et sortent même pour porter secours aux victimes d’un attentat qui n’a eu lieu que dans leur imagination désormais hallucinée. Tous n’auront pas la chance de cette femme qui arrive à l’hôpital en tenant à la main son œil dont le nerf optique, heureusement, n’a pas été sectionné, et qui attend patiemment qu’on ait le temps de s’occuper d’elle. Elle retrouvera l’usage de ses deux yeux. Mais que dire après avoir lu le témoignage de cette jeune femme dont le bébé de 10 mois a été tué dans ses bras, d’une balle dans la tête, par un tireur armé d’un fusil à lunette?
Le troisième chapitre est consacré à « la préparation
psychologique des palestiniens ». Il rapporte un abondant florilège de
sermons du vendredi particulièrement révélateurs, dont on ne peut citer
ici que quelques échantillons. « Ô bien-aimés, nous devons être certains
que la victoire viendra. Honte et remords pour qui s’est abstenu de
faire des raids [contre l’ennemi] ou qui s’est abstenu de prêcher de
faire des raids. Honte et remords à quiconque s’est abstenu d’élever ses
enfants dans le djihad. [...] Bénédictions à celui qui a mis une
ceinture d’explosifs sur son corps ou sur le corps de son fils et s’est
jeté au milieu des Juifs en criant : “Allah est grand, remerciez Allah :
Il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah et Mahomet est son messager”. » (p.
55). « Ô amants d’Allah ! Nous devons l’affirmer clairement : il n’y
a aucune différence entre les forces nationales et les forces
islamiques. Nous agissons tous pour Allah. [...] Dans quelques années,
avec l’aide d’Allah, nous entrerons à Jérusalem en conquérant; à Jaffa
en conquérants; à Haïfa en conquérants; à Ashkelon en conquérants. [...]
Béni soit celui qui a mis une balle de côté pour la tirer dans la tête
d’un Juif. » (pp. 57-58). « Nous contrôlerons la terre du
Vatican; nous contrôlerons Rome et nous y introduirons l’islam. » (p.
67).
Ce n’est pas seulement à la mosquée, mais aussi et d’abord à l’école que
les esprits sont préparés et entraînés en permanence à la haine du Juif.
Ce chapitre traite longuement des manuels scolaires palestiniens
dans les manuels scolaires et les livres du maître, publiés sous la
responsabilité de l’Autorité palestinienne à la suite des accords
d’Oslo, en remplacement de ceux qui étaient précédemment contrôlés par
l’administration israélienne, visent à inculquer aux enfants, non
seulement l’illégitimité de l’État d’Israël et la nécessité de
débarrasser de toute présence juive tout le territoire qui s’étend de la
Méditerranée au Jourdain, mais aussi le culte de la mort et l’exaltation
du « martyre ». Les écoliers palestiniens doivent être fiers de penser
que quand ils seront grands, ils iront eux aussi se faire sauter comme
leurs grands frères, pour tuer le plus grand nombre possible de Juifs.
Yasser Arafat lui-même n’est pas en reste, du moins lorsqu’il s’exprime
en arabe devant un public palestinien : « Nous ne savons qu’un seul mot
: La lutte, la lutte, la lutte, le combat, le combat, le combat, le
combat, le djihad, le djihad, le djihad, le djihad. » (p. 82).
« Un martyr de ceux-là [sur la ligne de front de Jérusalem] est plus que
soixante-dix martyrs [sur tout autre front du djihad]. » (p. 83).
Le ton est sensiblement différent lorsque Arafat s’exprime en anglais
devant des personnalités étrangères!
Le chapitre 4 aborde la question des « manipulations
médiatiques ». « Au-delà des religieux, des enseignants, de Yasser
Arafat lui-même, les programmes télévisés pour enfants et adultes font
eux aussi la promotion du djihad, de l’assassinat des Juifs et du
martyre. Les adultes et les enfants sont soumis quotidiennement à ce
lavage de cerveau dont le but est de dévaloriser la vie et d’exalter un
au-delà que le martyr doit souhaiter, voire rechercher. » (p. 89).
Les auteurs s’étendent longuement sur la mort du petit Mohamed Al-Dura,
tué au carrefour de Netzarim le 30 septembre 2000. Le film de la scène a
fait le tour du monde. Selon les études balistiques menées tant en
Israël qu’à l’étranger, il est pratiquement impossible que l’enfant ait
été tué par des tirs israéliens. Le livre étudie longuement ce dossier
pour conclure à un trucage et montre l’exploitation qui a été faite de
la scène. La télévision palestinienne a fait de Mohamed un « martyr »
auquel tous les enfants palestiniens doivent s’identifier : « Jetez vos
jouets, prenez des pierres. » Un clip destiné aux enfants montre des
tirs sur Al-Dura, un hélicoptère israélien, un enfant déchirant un
drapeau israélien. À la fin du clip, un garçon jette son auto qui tombe
près d’une pierre, qu’il saisit et emporte avec lui. Une fillette
regarde sa poupée, puis la jette, prend des pierres et court. D’autres
séquences de propagande présentent des variantes sur la mort des
« martyrs » et leur félicité au Paradis.
Avec le chapitre 5, le livre aborde explicitement la question
de la responsabilité personnelle d’Arafat. C’est lui, dit le titre du
chapitre, qui a « assuré la préparation pratique de l’Intifada ». Durant
l’été 2000, quelque 27 000 Palestiniens âgés de 7 à 18 ans ont été
entraînés dans 90 camps situés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Ils y apprennent à manier les armes, avant d’être admis dans les milices
du Fatah ou des Tanzim. Le 6 août 1995, lors d’une réception en
l’honneur de la naissance de sa fille, Arafat déclarait : « Les
Israéliens se trompent s’ils pensent que nous n’avons pas d’alternative
aux négociations. Par Allah, je jure qu’ils ont tort. Le peuple
palestinien est préparé à sacrifier le dernier garçon et la dernière
fille pour que le drapeau palestinien flotte au-dessus des murs, des
églises et des mosquées de Jérusalem. » (p. 110).
Ce chapitre cite aussi de proches collaborateurs d’Arafat, par exemple
Hafez Barghouti, rédacteur en chef du journal Al-Hayat Al-Jadida,
l’organe officiel de l’Autorité palestinienne, s’indignant de ce que des
parents osent protester contre l’usage qui est fait de leurs enfants :
« J’ai été choqué d’apprendre qu’il y a des pères qui interdisent à
leurs fils de participer aux manifestations contre les Israéliens, qui
leur disent : “N’y allez pas, vous risquez d’être tués...” De tels
propos constituent un véritable crime [...]. Ces gens abominables [...]
sont pires que les balles ennemies [...]. Notre nation saura faire
justice. » (p. 110). Le 17 août, c’est le général Fayçal Abou
Sharkh, commandant de la Force 17, la garde personnelle d’Arafat, qui
déclare : « Nous avons préparé des milliers, des dizaines de milliers de
martyrs. » (p. 123).
Le chapitre suivant montre comment « Arafat a planifié le déclenchement de l’Intifada ». Ce déclenchement s’inscrivait lui-même dans une stratégie à long terme désignée sous le nom de « plan par étapes », et dont les auteurs situent l’origine au 8 juin 1974, quand le Conseil National Palestinien et l’O.L.P. adoptèrent au Caire une motion définissant les objectifs et chargeant la « direction révolutionnaire » de mettre en œuvre la tactique permettant de parvenir par étapes à ces objectifs. Les accords d’Oslo, vus dans cette perspective du côté palestinien, s’inscrivent dans cette stratégie. Arafat s’en est expliqué dans un discours prononcé en arabe à la mosquée de Johannesburg le 10 mai 1994, en invoquant un précédent qui fait en quelque sorte jurisprudence, la trêve de Hudaibiya, « la trêve que le Prophète [Mahomet], dans les premiers temps de l’islam, avait conclue avec les infidèles du Hedjaz avant que le rapport de forces ne lui soit devenu favorable. » (p. 134). De même que Mahomet avait conclu un accord qui ne l’engageait que tant qu’il se trouvait en état d’infériorité militaire, et qui devenait caduc dès que le rapport des forces avait changé, de même Arafat n’était tenu par ses engagements que tant qu’il devait composer avec l’ennemi. Six jours après avoir signé avec Y. Rabin les accords du Caire, il déclare dans son discours de Johannesburg : « Le djihad continuera [...]. Vous devez comprendre que notre bataille principale est Jérusalem [...]. Vous devez venir participer au djihad pour libérer Jérusalem, votre précieux reliquaire. » (pp. 133-134). Le 18 avril 1998, à un journaliste de la télévision égyptienne qui lui demande pourquoi il demande à la rue palestinienne de ne pas exploser, Arafat répond : « Je suggère de maintenir le calme. Nous respectons les accords de la même manière que le prophète Mahomet et Saladin ont respecté les accords qu’ils ont signés. » (p. 134). Allusion est faite ici à la trêve de Hudaibiya, à laquelle Arafat se réfèrera plusieurs fois, et à l’accord conclu entre Saladin et Richard Cœur de Lion. En un mot : on n’est tenu par ses engagements que tant qu’on n’est pas le plus fort. « Bien sûr, précise Arafat, je ne me compare pas au Prophète, mais je dis que nous devons apprendre les leçons de sa démarche et de celle de Saladin. » (p. 135). Après quoi, le moment venu, il ne restait plus qu’à assurer l’approvisionnement et à distribuer des armes à la population (p. 139), puis à donner personnellement l’ordre de passer à l’action : « Notre peuple combattant! Le mouvement du Fatah du district de Naplouse vous demande : 1. De regarder le vendredi 6 octobre [2000] comme un jour de rage et de la répandre dans tout le pays. 2 De continuer l’INTIFADA! Les fusils combattants sèmeront et la politique récoltera. [...] 6. D’éviter tout tir qui n’est pas dirigé directement sur des cibles israéliennes [...]. Gloire à nos martyrs! » (pp. 140-141).
Les déclarations de Fayçal Husseini selon lesquelles les accords d’Oslo n’étaient qu’un cheval de Troie constituent l’essentiel du chapitre 7 sur « les objectifs secrets de l’Intifada ». Le chapitre 8 (« Comment Arafat contrôle l’Intifada ») cite abondamment les documents signés de la main même d’Arafat, saisis dans sa résidence de la Mouqata’a en même temps que des caisses de faux billets américains et israéliens, et en particulier les ordres de faire payer par la trésorerie de l’Autorité palestinienne les primes versées aux familles des « martyrs ». On peut d’ailleurs remarquer que les sommes effectivement allouées sont inférieures, par décision personnelle d’Arafat, à celles qui étaient proposées par ses subordonnés. Ce chapitre, bien évidemment, évoque la question de l’usage des sommes versées à l’Autorité palestinienne par l’Union Européenne, usage d’autant plus impossible à vérifier dans le détail que les millions d’euros versés se sont fondus dans la masse du budget de l’Autorité.
Les trois derniers chapitres abordent les questions juridiques. Les attentats perpétrés sous la responsabilité personnelle d’Arafat peuvent-ils être qualifiés d’actes de génocide et de crimes contre l’humanité? Juristes de métier, les deux auteurs répondent par l’affirmative à l’une et l’autre question, d’autant que la guerre déclarée par Arafat est une « guerre aux Juifs » autant et plus qu’à Israël. Les plaintes déposées contre Arafat devant la justice française par les familles de victimes françaises étaient donc parfaitement justifiées. Les auteurs ne manquent pas de s’étonner des retards mis par la justice française à donner suite aux dépôts de plaintes par les parties civiles. Les choses ne sont évidemment pas simples : Yasser Arafat, sans être reconnu comme chef d’État par l’O.N.U., et donc sans jouir de l’immunité afférente à une telle fonction, n’est pas non plus, à proprement parler, un simple citoyen. En 1998, une victime israélienne avait saisi la Cour suprême d’Israël. Le procureur de l’État, Eliakim Rubinstein, tout en constatant le rôle et la personnalité pénale d’Arafat, avait affirmé qu’une action juridique aurait inévitablement des implications en matière de politique intérieure et internationale. Les auteurs remarquent pourtant que, « en droit pénal, les tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda créent des précédents jurisprudentiels. » (p. 191).
N.B. : Les principaux documents sur lesquels s’appuie le livre, des photocopies d’autographes d’Arafat, que les arabisants pourront déchiffrer, et une bibliographie de deux pages complètent ce livre qui a été ignoré par la presse. Achevé d’imprimer en septembre 2004, il a été envoyé par l’éditeur à 150 journaux ou revues. Un mois après sa sortie, aucune de ces publications ne l’avait signalé.
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