LES MÉTAMORPHOSES DE DIEU
La nouvelle spiritualité occidentale

Par Frédéric LENOIR, chez Plon Éditeur, septembre 2003
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PREMIÈRE PARTIE

INTRODUCTION

A. Ce livre dense, de 400 pages, est un constat détaillé et exact de la situation des religions dans le monde actuel. Ouvrage touffu et bien référencié, il vise à faire comprendre le foisonnement de croyances et de pratiques religieuses actuelles. Sa lecture intégrale demande du temps et de l'attention pour les intéressés.

B. L'auteur est philosophe et sociologue des religions; il a publié divers ouvrages réputés, tels que l'Encyclopédie des religions, la Rencontre du Bouddhisme et de l'Occident, ou le Mal de Terre (avec Hubert Reeves), ouvrages de large audience, et traduits en une dizaine de langues.

C. De nos jours, la croyance en Dieu est très variable suivant les lieux : ainsi 93 % des Américains sont croyants, contre 67 % des Européens… mais en quel Dieu? Nietzsche déjà annonçait la « mort de Dieu »; la modernité libérera-t-elle l'Homme de « l'illusion religieuse? ».

Cependant, une floraison de nouveaux mouvements religieux fondamentalistes est en plein essor, particulièrement en Occident, avec le Renouveau charismatique, et certains observateurs annoncent plutôt un « retour du religieux ». Enfin, l'émergence d'un islamisme planétaire, et l'engouement européen pour le bouddhisme, sont inquiétants pour les chrétiens.


1. L'INDIVIDUALISATION DU RELIGIEUX

Le 1er Chapitre traite de l'individualisation actuelle du religieux. La religion personnelle se développe maintenant aux dépens des systèmes religieux traditionnels. Les églises se vident, particulièrement en Europe. Le scepticisme et la critique de l'Autorité cléricale sont un signe de cette mutation généralisée. L'individu moderne veut poser lui-même ses propres normes religieuses, gages de progrès intellectuel ou matériel. On ne veut plus dépendre de lois « divines » ou de traditions, non vérifiées par la raison.

L'auteur reprend brièvement l'historique des Réformes d'un catholicisme jusque là tout puissant, jusqu'à la séparation du religieux et du politique qui fut la revendication essentielle des philosophes des Lumières. Ainsi, la vie sociale est de moins en moins soumise à des règles religieuses (sécularisation). La France est particulièrement atteinte par ce phénomène. En effet les USA n'ont pas eu ce conflit, parce qu'ils ont dès le début bâti leur nation sur un fond religieux sans totalitarisme. La séparation de l'Église et de l'État (loi de 1905 en France), marque une coupure brutale en Europe, tandis qu'en Amérique une « religiosité » non identifiée à une confession crée un climat de tolérance générale; surtout depuis la décision du 3e président des USA, Jefferson, qui voyait les États-unis comme la « Terre promise, où Dieu a conduit son peuple pour établir un ordre nouveau qui sera révélé à toutes les nations ».

En Europe, par contre, les Institutions religieuses sont déstabilisées pour trois raisons :

1) un pluralisme religieux très compartimenté
2) la baisse généralisée de la demande individuelle de religion
3) l'individualisme accentué par la modernité.

Il en résulte une diminution des auditoires, mais aussi l'apparition de « noyaux durs d'ultra fidèles », et la réaffirmation d'un christianisme de conviction.

Les credo étant peu respectés, ou modifiés dans leur ritualisme, on constate chez les européens (protestants, juifs, musulmans ou bouddhistes) une dislocation des grands systèmes de sens, les individus changeant fréquemment d'opinions. A la logique d'obéissance, les modernes substituent une logique de responsabilité, comme si la notion d'obéissance était déplacée des institutions, plus directement en faveur de la divinité elle-même.

Ces choix individuels ont pour conséquence une crise dans la transmission familiale de la religion, les parents hésitant à transmettre une éducation religieuse à leurs enfants qu'ils veulent laisser libres de leur choix ultérieur. On n'hérite donc plus automatiquement d'une religion. Cette foi « clignotante » permet aussi de croire à n'importe quoi : astrologie (37 % en France), réincarnation, ou paranormal, car au fond toutes les religions se valent… et autant vaut ne s'engager dans aucune! Pour l'historien Furet : « la société moderne est condamnée au scepticisme en matière philosophique et religieuse ».

Enfin, l'amour est le slogan fortement valorisé, au détriment des autres vertus religieuses fondamentales, et tend à éliminer la représentation d'un Dieu de justice, « Père fouettard », ou la menace d'une damnation éternelle. On recherche alors plutôt un bonheur et un salut pour l'immédiat, en ce monde-ci (guérison, réussite matérielle, émotions plus ou moins transcendantes, recherche personnelle de méditations diverses, telles que yoga ou zen, etc.).


2. LA GLOBALISATION DU RELIGIEUX

D'autre part, et c'est la 2e tendance de la modernité, la globalisation découle de la mobilité des individus et de l'interconnexion des cultures. Dès 1492 qui marquait la fin du monde médiéval, la prédominance de l'Occident s'installe sur la Terre, et les bouleversements techniques successifs accentuent le phénomène. L'accélération des métissages culturels qui en résulte produit, dès les années 1960, l'implantation de l'islam et du bouddhisme en Occident. L'élévation du niveau culturel lié à la scolarisation, l'information de plus en plus rapide, et la démocratisation des voyages, facilitent ce brassage. Des groupes religieux considèrent le plus lointain comme dépositaire d'un sacré intact, même si cette vague orientale a déjà des racines anciennes, puisque la Renaissance classique cherchait aussi les traces d'un âge d'or de l'Humanité, pur de tout matérialisme. Mais, à partir de la fin du 19e siècle, on constate aussi l'éveil d'un intérêt plus spirituel, avec le yoga, la méditation tibétaine et les arts martiaux japonais, d'une part, et aussi un grand développement des missions chrétiennes dans le monde, d'autre part. Cette circulation à double sens est favorisée par le développement incessant des médias, pour un public de plus en plus large, et elle se répand ainsi dans le monde entier.

Après une considération sur le soufisme qui a influencé beaucoup d'intellectuels modernes, l'auteur montre aussi la simplification des religions, qui sont en quelque sorte « superficialisées », voire mélangées à de l'astrologie, ou à la réincarnation, etc. On assiste ainsi à un brassage religieux planétaire sans précédent dans l'histoire, qui ne va pas sans rappeler la situation finale dans l'Empire romain, bouleversé par l'avènement de cultes multiples, dont le christianisme naissant, qui devait enfin gagner la place prépondérante.

L'un des courants mondiaux religieux qui se développe le plus actuellement est le pentecôtisme, issu directement d'une réforme des Églises réformées, qu'on dénomme généralement par « évangélisme ». Ce mouvement qui insiste particulièrement sur la conversion personnelle des individus (« you must born again »), se réfère constamment à la Bible, et ramène à une grande rigueur morale. L'évangélisme connaît depuis une trentaine d'années une poussée étonnante dans le monde entier (1/4 des nord-américains p. ex) mais aussi en Chine, aux Philippines, en Corée du Sud. Bien que moins actif en Europe, Il représente déjà 1/3 des protestants français. Sa plus forte progression est le pentecôtisme, né d'un réveil du début du 20e siècle, qui insiste avec force sur l'action de l'Esprit Saint capable de régénérer l'âme du fidèle, et de le mettre en contact direct avec la présence divine, en lui apportant paix intérieure, biens matériels, guérisons, prospérité et succès. Il offre en même temps des certitudes, et une dimension communautaire souple et affective très populaire et sociale.

Ce mouvement est constitué par un réseau de petites communautés bien enracinées au niveau local. Il s'adapte d'autre part à toute culture, en faisant référence à la Bible, à Jésus comme chef unique, et à une grande intégrité morale, tout en gardant en même temps son caractère universel, de par ses références chrétiennes fortes. Enfin, par son archaïsme (les miracles, l'exorcisme, etc.) et sa modernité (centaines de stations radio et TV), il satisfait facilement à beaucoup de recherches spirituelles actuelles. Longtemps dénigré par les « officiels », ce mouvement est en train de sortir du ghetto sectaire, en pénétrant les grandes églises par le Renouveau charismatique. Le pentecôtisme se développe ainsi, en suscitant sans cesse de nouveaux groupes, toujours plus flexibles et adaptés, et très proches des gens.

La circulation planétaire du religieux fait apparaître aussi de nouvelles formes de syncrétismes partout, mais particulièrement en Afrique noire, en mélangeant ainsi christianisme et paganisme traditionnel. Et même la figure du Christ y est transformée. De plus, l'introduction des drogues des sorciers existe fréquemment dans les cérémonies pseudo chrétiennes (comme l'eboga remplaçant l'hostie catholique), souvent imprégnées de la magie ancestrale. Des réveils prophétiques, de nouveaux « sauveurs » y apparaissent aussi fréquemment, en créant de nouvelles sectes correspondant aux besoins spécifiques de l'Afrique noire.

Ainsi, sur toute la planète, un supermarché du sens résulte de ces divers flottements des traditions religieuses, chacun cherchant à se créer son propre système « magico/religieux », qui devient une demande spirituelle hors tradition. On cherche plutôt à se réaliser, à se faire du bien, comme un consommateur qui prend ce qu'il veut, et rejette le reste. C'est l'émergence d'une sorte de « matérialisme spirituel », l'ego tentant d'appliquer les enseignements spirituels à son propre bénéfice, mais on ne souhaite pas réellement s'identifier avec ces enseignements. En fait, nous devenons bientôt tous de véritables «  boutiquiers religieux »!

Dès lors, ne verse-t-on pas dans un syncrétisme de confusion religieuse, sans voir émerger de nouvelles synthèses cohérentes universelles? Amnésiques à leur propre culture, les Occidentaux bricolent des religions à la carte, introduisant dans leur « foi » des croyances à la réincarnation (24 %!... c'est normal, la plupart des gens religieux la substituant à la résurrection, à laquelle ils ne croient quasi plus). On voit apparaître peut-être la perspective d'un bouddhisme occidental, différent de l'asiatique, mais en apparence assez cohérent.


3. RELIGIONS HISTORIQUES : réactions conservatrices et conflits politiques.

Tous ces bricolages religieux actuels, comme une « religion à la carte », ne pouvaient qu'atteindre au cœur les grandes religions historiques. De nombreux clercs ont pris acte de ce rapport religion/modernité, et l'interprètent même comme une chance pour le christianisme de revenir à ses sources véritables. Les conservatismes religieux se séparent en 2 groupes distincts, Nord/Sud. L'inégalité des valeurs, sur le plan économique, se retrouve donc sur le plan de la production des valeurs.

Les divers conservatismes religieux sont en accord sur le fait que le salut d'un individu est tributaire de sa présence dans une communauté forte. Les croyants sont alors invités à résister au modernisme jugé incompatible avec les croyances du groupe. Les conservateurs crient qu'ils sont les interprètes par excellence de Dieu ou de l'Absolu. On parle alors de (re)conversion et de « ré évangélisation » de l'Europe, ou de « réislamisation » du monde arabo-musulman, etc.

Autrefois, on naissait juif, musulman, chrétien ou hindou, maintenant on le devient dans la vie, plutôt en en prenant conscience, et parfois en voulant ensuite la victoire universelle de sa propre religion. Le retour à Dieu, à des certitudes fortes ou aux textes sacrés, voilà le propre de tous les fondamentalismes. On retourne alors puiser dans ces textes les critères de la juste façon de vivre. C'est un phénomène caractéristiques des « bandes de jeunes », des islamistes, des communautés de vies, des cellules de maison, etc., etc.

Protestants :

Chez les protestants, majoritaires en Amérique du Nord, les puritains exilés ont quitté l'Europe pour bâtir « l'Israël américain de Dieu », la « Nouvelle Jérusalem », « la nouvelle Sion »; ils s'identifient donc aux Hébreux persécutés en Égypte, ils ont traversé la Mer Rouge (l'Atlantique), et croient au destin de bâtir dans ce continent « vide », la Cité de Dieu; d'où la fameuse « Conquête de l'Ouest ». Leur ressemblance est frappante avec les Hébreux en 3 points : 1) le bonheur d'Israël 2) les différences d'avec les autres nations 3) leur foi en la faveur divine.

L'une des principales figures de cette société religieuse américaine est « le Prédicateur ». L'expérience fondamentale est la « nouvelle naissance »; le « born-again » – ou celui qui est né de nouveau – qui a bien rencontré le Christ dans sa vie personnelle; il est donc sauvé. Entre sa renaissance intérieure et sa mort, le converti vit un temps de mission, de prosélytisme : « Après avoir été sauvé par Jésus, que puis-je faire d'autre que d'annoncer la Bonne Nouvelle à l'Humanité entière », pense-t-il.

Le Congrès international pour l'Évangélisation mondiale (CIPEM) à Lausanne (en juillet 1974) a été un évènement marquant dans cette montée du protestantisme fondamentaliste; il affirme : « Nous, membres de l'Église de Jésus-Christ, venus de plus de 150 nations participer à ce Congrès, nous louons Dieu pour son salut merveilleux… Nous affirmons l'inspiration divine, la vérité et l'autorité de l'Écriture , Ancien et Nouveau Testament, dans sa totalité… Elle est la seule Parole écrite de Dieu et l'unique règle infaillible de foi et de vie… Ceux qui rejettent le Christ refusent la joie du salut, et se condamnent eux-mêmes à la séparation éternelle d'avec Dieu… Cependant plus de 2 700 millions de personnes (les 2/3 de l'humanité) doivent encore être évangélisés… » Ainsi, face à un modernisme négateur, leur objectif est de faire face à la montée venue d'un athéisme militant, d'une confusion doctrinale qui se généralise, et d'un œcuménisme équivoque, sans compter la montée des autres religions.

Catholiques :

Pour les catholiques fondamentalistes, touchés aussi par la sécularisation moderne, il faut de nouveau une Contre-réforme, analogue à celle du Concile de Trente (ouvert le 13 décembre 1545), dont l'auteur redonne les circonstances… et les conséquences. Plus récemment, le Concile Vatican II (1962-65), s'il a rénové considérablement les formes ecclésiales, a provoqué aussi des résistances conservatrices diverses, comme celle de Mgr Lefèbvre, qui rejette le principe de la liberté religieuse exprimé par le Concile, et qui ira jusqu'au schisme et à l'excommunication par Jean-Paul II, élu pape en 1978. Ce dernier, venu de la Pologne conservatrice, reprend en main avec autoritarisme le magistère, et les principes de la morale et de la discipline ecclésiale.

Par le biais du Renouveau Charismatique, directement issu du succès des groupes pentecôtistes, les catholiques américains, puis européens, ont décidé d'intégrer les aspects qui leur semblaient les plus significatifs, afin de revitaliser leurs propres paroisses. Malgré les difficultés initiales avec le clergé, le Renouveau a finalement été reconnu par Rome, en vue de la reconquête de l'Europe déchristianisée. Dès lors, l'identité catholique pratiquante se veut de nouveau conquérante, en France aussi, d'autant plus que le nombre des prêtres a diminué de moitié entre 1960 et 2000. Pourtant, à bien des égards, on peut parler d'un désir des participants aux groupes charismatiques de revivre simplement leur foi, dans la simplicité et la radicalité évangélique et fraternelle, ce qui marque un tournant qui pourrait être capital pour le catholicisme.

Israélites :

En abordant maintenant l'évolution du judaïsme, on constate que sur près de 300 ans il est engagé dans un processus d'intégration libérale. Le traumatisme de la Shoah, puis la création de l'État d'Israël, en 1948, ont défini un nouveau contexte historique et d'importantes révisions théologiques pour les Juifs. La décolonisation du Magreb, provoquant la migration de plusieurs dizaines de milliers de Juifs séfarades, a aussi radicalement bouleversé le judaïsme français, autrefois issu du pôle ashkénaze, originaire du nord-est de l'Europe. Ces derniers avaient intégré (et participé) au développement de la modernité occidentale, mais pas les sépharades, originaires plutôt du sud. Depuis la seconde Intifada, on constate des dissensions en France entre ces deux tendances, à propos de la politique des Israéliens envers les Palestiniens, certains allant jusqu'à accuser le gouvernement israélien d'antisémitisme! Parfois, seul le souvenir de la Shoah peut encore préserver la cohésion des tendances.

D'autre part, l'antisémitisme ayant à nouveau beaucoup progressé – voir les dérives aux Nations Unies, et à Durban (septembre 2000), et les actes antisémites en France et en Europe – est réapparue l'éternelle question de « l'Élection divine », qui a suscité tant de controverses : l'Église s'est considérée longtemps comme le véritable Israël… ce qui crée en retour l'intransigeance des religieux d'Israël. Les années 80 ont vu une profonde mutation à l'œuvre, notamment le passage d'une judaïté universaliste vers une judaïté particulariste et communautaire. « Ce qui faisait la force de cette figure de l'intellectuel juif – le sens de l'éthique, l'humanisme, l'aspiration à l'universel – tend à se voir supplanté par de nouvelles figures juives… plus religieuses et autocentrées… Ce virage est visible aussi bien en diaspora que dans l'État d'Israël même. »

On constate aussi une forte augmentation du nombre des écoles juives orthodoxes en divers pays, le port des vêtements ou de signes traditionnels, et la création de radios juives. Mais naturellement, le judaïsme est extrêmement pluriel, et il existe une majorité silencieuse fidèle à une vision tout à fait sécularisée du judaïsme, libre même de tout caractère religieux.

Islamisme :

Concernant l'islam, le fondamentalisme remonte au XVIIIe siècle en Arabie, avec Al-Wahhab; ce fut un mouvement réformateur contre le danger du syncrétisme avec d'autres religions. Mais, c'est en fin du 19e siècle qu'il se développe, pour lutter contre la domination du monde occidental. Et en 1967, il prend son essor actuel, à la suite de la défaite majeure des Arabes contre Israël. Depuis le 11 septembre, Al-Qaida, un nouveau mouvement terroriste, commence son combat fondamentaliste contre l'Occident.

La conscience religieuse en Islam est complexe, de type globale, à la fois religieuse et politique, sous un discours apparemment religieux. L'idée de soumission absolue à Allah (leur dieu) constitue pour eux l'unique voie du salut. Le couple Coran/Paroles du prophète est inamovible. Le fondamentalisme musulman veut résister à une double décadence, celle de l'intérieur (religiosité populaire, soufisme, pratiques déviantes, etc.), et celle qui provient de l'extérieur par l'envahissement occidental, qui devient dès lors l'« ennemi » à abattre (le « Grand Satan »).

Le fondamentalisme islamique est-il compatible avec la démocratie? La question du rapport entre religion et politique prend une dimension capitale pour les musulmans. On prend souvent comme modèle la « laïcité française », qui sépare radicalement religion et politique, mais il est récusé par la quasi-totalité de la mouvance islamique qui vise à une conquête mondiale, incompatible avec tout œcuménisme. Le modèle anglais de coexistence serait plus admissible, temporairement. Mais il n'est pas certain que l'islamisme soit aussi homogène que le laissent voir les foules dociles présentées à la télévision… D'autre part, la régression sociale produite par cette religion paraît être un gros obstacle à une harmonisation entre islamisme et modernité. Et, reste enfin le refus de nombreux musulmans d'opérer une lecture historico critique du Coran. Tant qu'on voudra lire le texte coranique de manière littérale, en le considérant comme dicté par l'Ange Gabriel au prophète Mohammed, il sera difficile de concilier islamisme et modernité.

Ces problématiques se posent non seulement pour les nations à majorité musulmane, mais déjà en Europe qui se trouve envahie peu à peu, et concernent le port du voile, ou de la barbe, les magasins de viande hala, la création de librairies et de journaux musulmans, et leurs rassemblements massifs d'hommes souvent fanatisés; sans compter la construction partout de mosquées, qui sont plus ou moins intouchables « pour toujours », une fois installées. Ceci étant, l'Islam européen est maintenant composé de plusieurs millions de personnes, chapeautées par des personnalités dynamiques, comme l'intellectuel suisse Tarek Ramadan (l'un des petits-fils du fondateur des Frères musulmans). Mais on espère aussi finalement qu'une masse moins radicale sera capable de s'adapter au milieu « chrétien tolérant » des Européens.

Hindouisme :

On pourrait un peu répéter ce qui a été dit ci-dessus, concernant le radicalisme religieux hindou. Après quelques données sur son passé, l'auteur remarque que ces hindous considèrent que la communauté de l'Inde (Hindu Samai) est menacée par les ennemis de l'intérieur : les chrétiens et les musulmans. Cette exaltation religieuse de la nation a pour point central l'Hindutva, qui réunit (comme en islam) le national et le religieux. Plusieurs intellectuels nationalistes hindous et la maison d'édition « Voice of India » développent une conception militante radicale et idéologique de la religion, en confrontation totalitaire avec le christianisme et l'islam. Mais le courant principal reste tolérant et « caché », atteignant quasi secrètement beaucoup d'intellectuels par des pratiques du yoga ou de la méditation.

Mondialisme :

Qu'en est-il maintenant de l'interaction entre politique et religion à l'échelle internationale? Pour de nombreux Occidentaux, les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par les réseaux d'Oussama Ben Laden qui firent plusieurs milliers de victimes – et d'autres opérations meurtrières qui ont suivi – sont l'une des expressions de la « logique de guerre » qui animerait l'islam. Samuel Huntington, professeur à Harward, écrit une thèse à ce propos dans laquelle il déclarait en 1995 : « Le fondamentalisme islamique est au moins aussi dangereux que le communisme l'a été pour l'Occident ». Mais l'auteur, en parenthèse, pense utile de rappeler la « théologie de la libération », qui a lutté contre les pouvoirs dictatoriaux en Amérique Centrale et du Sud (du type Pinochet, avec la complicité de la hiérarchie catholique), selon laquelle « la lutte pour une Société juste s'inscrirait de plein droit dans l'histoire du Salut ». Dans ce domaine, les Églises protestantes conservatrices des USA vont lutter contre cette théorie de la libération. Cette nouvelle droite a été menée principalement par les milieux évangéliques et pentecôtistes américains.

Ainsi se crée peu à peu la vision de l'Amérique salvatrice, désignée par la Providence pour donner à l'homme sa véritable stature, par la science, la vertu, la liberté, le bonheur et la gloire, qui doivent s'épanouir dans la paix. C'est le « Nouvel ordre mondial », après la chute du Mur de Berlin, et la 1re guerre du Golfe, dès 1991. Plus récemment le président Bush (No 2), parle de la lutte contre « l'axe du Mal », terme significatif de cette « théologisation » des relations internationales. Bush lui-même est un « born again », il a rencontré Christ et a l'intime conviction que l'Amérique possède une vocation spécifique mondiale. C'est ainsi que dès le 11 septembre 2001, au nom de l'antiterrorisme, même la guerre préventive devient normalisée; le monde entier est devenu maintenant la frontière des États-Unis.

Derrière cette vision se dessine aussi une attente biblique, la bataille d'Armaguédon que l'apôtre Jean annonce entre les armées du Christ et celles du diable et de l'antéchrist, dans son Apocalypse. Il faut se rappeler que cette vision est celle de 50 millions de fondamentalistes seulement aux USA, sans compter tous ceux du monde entier qui la partagent (environ 200 millions de « nés de nouveau »). C'est ce qu'on appelle aussi le sionisme chrétien – lié au « retour » d'Israël sur sa terre en 1948 – et promu par des grands évangélistes (Billy Graham, Pat Robertson, etc.) qui sont très proches et même les conseillers des derniers présidents des États-Unis. Ajoutées à cela, les pressions de mouvements issus du judaïsme, tels que « l'Ambassade chrétienne internationale de Jérusalem », « les Amis chrétiens d'Israël », la « Christian Coalition », avec ses 2 millions de militants, etc., etc. Dans ce contexte on comprend que l'islam devient une menace capitale pour les valeurs judéo-chrétiennes.

De l'autre côté, si l'Occident est devenu le « Pôle du monde », la faiblesse de l'islam apparaît grandissante, mais insupportable pour le monde musulman, qui rassemble lui aussi plus d'un milliard de personnes dans le monde. Pour certains islamistes, cela demande une réforme totale par un retour absolu aux sources. Rachid Rida dès 1924 lance le mouvement, suivant la théorie de l'Égyptien Haassan al-Banna, avec son « Association des Frères musulmans », dont le slogan est « Le Coran est notre Constitution ». Politiquement, c'est aussi la renaissance du nationalisme Arable, contre les pouvoirs coloniaux qui veut restaurer la grandeur de la civilisation arabe. Mais la défaite de Nasser par Israël va provoquer des mouvements de haine et une exacerbation de l'Islam – la religion de l'avenir – proclamée unique « Sauveur » de l'humanité. « Le rôle de l'homme blanc, Russe ou Américain, Anglais, Français, Suédois ou autre a pris fin », comme l'écrit l'un d'eux. Enfin, la révolution islamique en Iran a accentué cette dynamique de la radicalisation, poussant les adeptes à engager totalement leur vie dans un combat à mort, à la fois politique et religieux.

Les réseaux d'Oussama Ben Laden, dit aussi Al-Qaida (la base) s'inscrivent ainsi clairement dans l'esprit de la mondialisation. Il n'y a désormais pour le djihâd qu'un terrain de bataille, le Monde. Donc Al-Qaida va viser à détruire l'impérialisme occidental, et tout l'Occident – mais sans être à même de le remplacer par un autre principe universel (comme ce fut le cas avec le Communisme). Ce dernier constituait pour les islamistes une menace bien plus grande que le christianisme occidental, d'où la guerre terrible en Afghanistan contre le « Satan russe » pendant les années 80, même s'il fallait faire des alliances temporaires avec les États-Unis.

Comme pour les fondamentalistes protestants et la lecture prophétique de la Bible, les islamistes font une lecture apocalyptique du Coran. Le mouvement les « Amants de l'Apocalypse » préconise par le terrorisme du type « 11 septembre » de hâter la venue de la fin des temps. Élus par décret divin, ces fanatiques ne s'opposent pas seulement au monde occidental, mais aux États arabes, allant jusqu'à massacrer des civils musulmans, car même les modérés, pour eux, sont exclus de la vraie communauté des croyants. La nébuleuse de Ben Laden germe partout facilement dans les mégapoles occidentales, elles est ultramoderne, et vise à instaurer le chaos et la peur partout. En effet, le Coran annonce la fin du monde et la venue d'un Messie, le Mahdi. Il faut même se sacrifier pour combattre sur ce chemin de Dieu, afin de recevoir dans l'au-delà des récompenses magnifiques.

Heureusement, les jeux ne sont pas faits, et la récente réaction universelle pour la paix – contre la 2e guerre d'Irak voulue par les seuls États-Unis – a rassemblé plus de 15 millions de personnes de tous les bords religieux. D'autres lectures de la Bible, du Coran ou des Védas sont possibles peut-être, sans qu'on en arrive à une guerre des civilisations.

Fin de la 1re partie

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